

e Zappa est un
oiseau bizarre
qui ne sort plus guère. Perché dans sa résidence
de Laurel Canyon, dans les beaux quartiers d’Hollywood, il marine dans
l’univers magnétique de ses enregistrements, avec sa petite
famille, visité parfois par des personnages baroques, Hell’s
Angels au rencart, freakissimes freaks ou Wild Man Fisher. Son salon
est isolé de liège, il s’écoute et se
réécoute bien fort tout le jour. Sur les murs, des
cadeaux du public un morceau de plâtre dans un cadre avec dessus
« Zappa was here ». On l’a retrouvé dans sa
première chambre en ville et on le lui a rapporté. Des
peintures pop une immense voiture, exécutées par des
fans. Il a toujours un énorme sens de l’humour, teinté
d’amertume. Zappa est riche, mais pas trop perverti. Il ne
s’intéresse pas à la politique. Il se définit,
pour une fois sans rire, comme un créateur. John Cale touche
sans doute une corde sensible, en remarquant : « Zappa a deux
personnalités. Au fond, il voudrait être un compositeur
classique, mais il a peur de se découvrir. Dès qu’il
crée une oeuvre d’envergure, il s’arrête et la recouvre de
satire et d’ironie. C’est une réaction de défense. Tel
qu’il est, il reste inattaquable » Son film, 200 Motels, va
sortir bientôt. De multiples disques, sont au mixage. Il sera
à Paris début décembre.

ctuel
: En Europe on vous compare souvent à des compositeurs
moderne comme Stockhausen, Ligeti. Qu’en pensez vous ?

:
C’est l’affaire des gens qui font ce type de comparaison. Ne me
demandez pas de parler des critiques musicaux, je risque de devenir
furieux. Il est stupide d’écrire sur la musique. Les critiques
devraient commencer leurs articles par d’humbles excuses. Ils sont bien
trop sûrs d’eux-mêmes pour l’admettre.

ctuel
: Vous composez maintenant des morceaux plus longs

:
J’aurais écrit de longs morceaux depuis longtemps, si
les anciens Mothers avaient été capables de les jouer. Je
ne me dirige pas vraiment vers une musique plus élaborée
: je fais ce que j’ai envie de faire et cela peut signifier parfois le
retour à une musique plus simple.

ctuel
: Est-ce que le public des Mothers s’étend ?

:
C’est certain. Peut-être parce que nous avons plus de
« beat ». Le rythme constituait le grand point faible des
anciens Mothers. Jimmy Carl Black était un batteur de rhythm and
blues habitué à un jeu très dur et
régulier. Art Tripp qui lui a succédé était
un excellent percussionniste de musique classique, il lit parfaitement
la musique, mais ne joue pas de rock and roll. Aynsley Dunbar, notre
batteur actuel, peut faire tous ces styles et il joue rock.

ctuel
: Quand sort le prochain album ?

:
Peut-être en décembre.. Il y a aussi une
série de neuf disques qui reprennent d’anciennes bandes. Le
premier groupe de trois devrait sortir à la rentrée, En
ce moment je mets la dernière main au film, 200 Motels. Nous
enregistrons une nouvelle fois la musique. Nous avions
déjà une bande en mono pour les besoins du tournage. A
présent nous réalisons la bande en seize piste qui
servira pour le son du film et l’album tiré du film. Le film
sera prêt en octobre.

ctuel
: Pourquoi avez-vous utilisé la vidéo ?

:
La vidéo est le procédé idéal pour
ce genre de film. Et la qualité technique est parfaite.
Agrandie, l’image est excellente, vous arriverez à peine
à y croire. De plus, avec la couleur, on peut faire des tas
d’effets visuels électronique.

ctuel
: Comment s’est passé le tournage du film ?

:
Nous avons tourné en Angleterre parce que je voulais
utiliser le procédé européen de vidéo, sur
625 lignes, le procédé américain produit de jolies
couleurs, mais se laisse mal transférer sur un film. Il y avait
un réalisateur qui dirigeait les prises de vues à partir
d’un camion, à l’extérieur du studio. Son nom est Tony
Palmer, il a travaillé à la BBC et a entrepris de
nombreuses expériences avec la vidéo. Quant à moi
j’ai fait la mise en scène, sur le plateau.

ctuel
: Que devient le film Uncle Meat ?

:
Je le finirai peut-être un jour, si j’ai de l’argent.

ctuel
: Vous composez des morceaux sans rapport avec le film ?

:
En ce moment je compose une grande suite chantée en
allemand. J’ai écrit des textes en anglais et on me les traduit
en allemand, une langue que je ne parle pas du tout. Ensuite je compose
la musique en fonction des sonorités. Cela donne des
résultats très étranges. En fait c’est une sorte
de défi : je l’ai fait par curiosité. La suite va durer
deux heures, et sera sans doute l’objet d’un film. Ensuite j’aimerais
bien faire la même chose dans d’autres langues : Français,
Suédois, par exemple.

ctuel
: Vous continuez à jouer en public ?

:
J’aime beaucoup jouer sur scène. Les tournées
peuvent être très amusantes, si on le, fait avec les gens
qu’il faut.

ctuel
: Que sont devenues toutes vos productions pour Straight et
Bizarre ?

:
J’ai pratiquement abandonné ce genre d’activité.
Je suis assez déçu par le résultat. Je n’ai pas
fait de nouvelles découvertes et les premières
expériences ont mal tourné.

Certains
se sont
montrés très ingrats : ils ont dit du mal de moi
derrière mon dos. Je pense à Captain Beefheart et
à Wild Man Fisher. J’ai pourtant dépensé une somme
énorme de temps et d’énergie à défendre
leur musique. Avant d’enregistrer pour moi, Beefheart n’avait eu que
des ennuis : A & M, sa première marque, voulait qu’il joue
du Bo Didley. Buddah lui a imposé des musiciens de studios comme
Ray Couder, il n’a même pas pu jouer avec son propre groupe. Blue
Thumb a trafiqué les bandes. A présent il continuera
à enregistrer pour Straight à cause du contrat, mais je
m’en désintéresse totalement.
Pour le reste, Alice Cooper me satisfaisait plus, mais ils
quittent Straight à l’expiration du contrat. Ils ont deux
managers extrêmement ambitieux, avec qui il est difficile de
travailler. En attendant, c’est le groupe Straight qui marche le mieux,
et de loin.
Les GTO’s ne jouent plus beaucoup. Elles devaient faire un concert
à Los Angeles aux côtés des Cockettes, dans un show
appelé Hollywood Babylon. Mais La municipalité a interdit
le show pour obscénité. A Capella a signé avec
Capitol. Quant à Wild Man Fisher, il vient de temps en temps
stoned tambouriner sur ma porte en criant. Cela devient vraiment
gênant.

ctuel
: Que fait Sugar Cane Harris ?

:
Je ne sais pas. Le problème avec lui est qu’il passe une
partie de son temps en prison pour des histoires d’héroïne,
nous l’emploierions plus souvent si on pouvait vraiment compter sur
lui. Il a joué sur Hot Rats alors qu’il purgeait sept mois de
prison, en liberté sous caution pour faire les séances.

ctuel
: Que pensez-vous de la fin du Fillmore ?

:
La prochaine fois que nous jouerons à New York, nous ne
savons pas quel endroit nous utiliserons. Le Fillmore était
remarquable, la sono excellente, le public était très
gentil. Mais il n’y a pas de quoi devenir hystérique. C’est la
fin du Fillmore de Bill Graham, un point c’est tout. Il y aura quelque
chose après.

ctuel
: Les média annoncent volontiers la mort du rock.

:
La belle affaire ! Ces gens la ne connaissent rien au rock, ils
disent n’importe quoi. Malheureusement le public est à la merci
de ceux qui leur dictent des idées et des opinions. Si
Rolling Stone dit d’une musique quelle constitue le grand
événement du moment, le public le croit. Et s’il dit que
c’est du bidon, le public le croit aussi. Les sens ont des
réactions de moutons, Il suffit qu’une nouvelle drogue
apparaisse et monte dans le hit-parade, et vous vous apercevez que le
public réagit différemment, tout simplement parce qu’il a
absorbé un nouveau produit chimique.
Aujourd’hui, l’héroïne et la cocaïne donnent le ton.
Tout cela me déprime. Personnellement je ne prends jamais de
drogues.

ctuel
: Vous donnez des concerts gratuits ?

:
Je ne veux plus en donner. Je ne vois pas pourquoi je le
ferais. Je jouerai éventuellement pour un «
bénéfit » : cela dépend du projet
précis qu’il doit financer. Mais sinon je dois payer les membres
du groupe, tous les frais. Nous avons dû acheter pour des
milliers de dollars de matériel avant de pouvoir jouer cette
musique. Le public ne nous l’a pas offert. Je ne vois pas pourquoi
à présent nous irions offrir notre musique au public.