Les
petits
montages – effectués par Zappa – furent le premier assemblage de
Läther avant que les shows du Palladium de décembre 1976
n’obligent Zappa à élaguer le montage originel de ce
coffret. Passons sur le « Wild Love » de Sheik
Yerbouti et
le « Ship Ahoy » notoirement connu par les amateurs,
lui-aussi expurgé du coffret Läther après de
multiples changements de cap. Passons sur la session de «
Chunga’s Revenge » par le Hot Rats Ensemble. Elle figure la fin
de la formation. Connaissez-vous quelques-uns de leurs shows ? Au
Sports Arena de San Diego ? A l’Olympic de Los Angeles ? Passons encore
sur le solo guitare de 1974 rebaptisé « Venusian Time
Bandits » – également ébauche
néandertalienne du patchwork Läther. Savez-vous que la
bande sonore splendide du film A Token Of My Extreme n’est toujours pas
disponible depuis 1975 ? Vous pourriez y entendre le solo original de
« Florentine Pogen » supprimé du lp One Size Fits
All ou bien encore une demi-douzaine d’arrangements inédits,
voire de thèmes inédits ! Passons enfin sur la mouture de
« Waka/Jawaka » qui servit de base pour l’album du
même nom. Cette version, d’un seul tenant, désacralise
franchement la musique de Zappa. Elle est une pépite pour ceux
qui voudront toujours connaître les ruses et les diableries de
postsynchronisation et de mixage. Pour les autres, c’est à dire
99% de la clientèle, elle n’a aucun intérêt par
rapport à la version mixée et arrangée parue en
1972.
Joe’s Corsage
est le premier volet d’une
série qui semble chronologique. L’album a été
présenté comme un hommage aux trente ans des Mothers par
Joe Travers, le responsable des archives Zappa. Un hommage
véritable aurait mérité de couvrir tout leur
périple jusqu’à la séparation de 1969. Ici une
dizaine de titres – entre 1964 et 1966 – fait état des efforts
de Frank pour conjuguer son rhythm’n’blues à un
bric-à-brac balbutiant. La patine nostalgique aidant, c’est
fantastique. Henry Vestine figure sur certaines pistes. D’autres
proviennent de gigs en 1965. L’outrage d’un rock sciemment
désuet pour l’époque couplé aux premiers textes
irrévérencieux – « plastic People » –
n’ôte en rien le sentiment ambivalent de Freak Out d’un Zappa
sentimental : Valses langoureuses, harmonies glamoureuses… Au milieu de
l’album vous trouverez un incroyable trésor : la première
version enregistrée de « Takes Your Clothes Off When Your
Dance » alors nommée « I’m So Happy I Could Cry
» – romance simple teinté de surf music et des premiers
petits riffs plus proches de « Please Please Me » que de
«Taxman ». La musique des Mothers de cette époque
collait au cul des Byrds, au style Côte Ouest perverti par
l’invasion britannique de 1964. C’est presque incroyable de sentir
à quel point ce groupe n’était pas dans le coup ! Une
bande de miséreux, plus vraiment jeunes et vendant leurs
consignes de soda pour subsister tandis que leur copain Jim Morrison
récoltait déjà les palmes avec « Light My
Fire ». Ne reste alors qu’à constater l’intelligence et la
rapidité avec laquelle les Mothers sont arrivés aux
arrangements de Absolutely Free et We’re Only In It For The Money. A
défaut d’un galbe mémère ce corsage est savoureux.
Le deuxième volet de la série de Joe
Travers s’appelle Joe’s Domage.
Il ne regroupe qu’une session de
répétition du Grand Wazoo. Et n’a probablement
d’intérêt véritable que pour une vingtaine de
hard-core fans. L’orchestre travaille, reprend certains passages
difficiles sous la houlette de Zappa, se trompe, recommence. Trois
titres sont ainsi passés en revue durant près d’une
heure. Là encore, on peut se demander ce qui motive Joe Travers.
Comment séduire une nouvelle frange d’auditeurs avec de
pareilles chutes ? La formation de scène du Grand Wazoo n’est
toujours pas représentée sur disque plus de trente ans
après – elle est très différente de celle qui
enregistra l’album. C’est elle qui présenta « Approximate
», « Greggery Pecary », « Regyptian Strut
»… L’intégralité de leurs concerts se trouve encore
dans leurs boîtes. Personne n’y a plus touché.
Ne serait-ce qu’avec les archives live de Zappa, toute période
confondue, une quarantaine de disques pourraient voir le jour avec une
qualité semblable à celle de Roxy & Elsewhere. Et
depuis dix ans, il faut bien reconnaître et déplorer un
véritable gâchis. Pourquoi ne pas ouvrir également
la boîte qui contient la version préparatoire de We’re
Only In It For The Money ? Un tiers de ce matériel n’a pas
été édité sur le disque. Il devait
être présenté sur un coffret anthologique des
Mothers que Zappa a projeté de faire paraître dès
1968 : douze disques ! La moitié est encore inconnue du grand
public. Les héritiers de Zappa prétendent que sa musique
n’a plus assez d’impact pour justifier des frais lourds de publication.
Tout ça nous ramène encore au pied du mur ; aux
désastres de Läther, de Uncle Meat, aux bagarres de Zappa
tout au long de sa vie. Les parutions récentes ressemblent
à une pioche au hasard, sans plus aucune direction commerciale ;
un live de temps en temps, un autre fond de tiroir… Il faudrait un fou
semblable à Zappa pour reprendre le scalpel et se plonger dans
l’avalanche d’archives sans être effrayé. Il faudrait que
les héritiers accordent un peu de confiance aux fans. Il
faudrait que les choses changent. Par la faute des conditions
actuelles, non seulement il n’y a plus aucun espoir d’élargir
l’auditoire de Zappa, mais il ne cesse de baisser depuis sa
disparition. Selon le proverbe, il n’est jamais trop tard… Pas
sûr. La musique de Frank Zappa mérite un autre sort.
Christophe
Delbrouck
|