Interview de la veuve de l’artiste, la « lionne » et sa défense d’un énorme patrimoine artistique.

 Par Alfredo Agnese

 
« Mieux vaut rire que pleurer ». Depuis dix ans, c’est le leitmotiv de Gail Zappa. En 1993, après une longue maladie, son mari disparaissait en laissant derrière un très lourd héritage. Génie incompris, iconoclaste du rock, compositeur moderne, Frank ZAPPA a été mille et une chose différentes. Un combattant pour la liberté d’expression et un talent visionnaire. Elle sourit au téléphone, Madame Zappa. Elle a choisi d’entretenir la flamme de l’œuvre de son mari. Elle le fait avec tant d’ardeur qu’elle mérite le surnom de « Mam Keeper-Of-The-Zappa-Flame », c’est une lionne crainte. Pourtant, sa voix transpire la sympathie et une vitalité joyeuse.

 Aujourd’hui, le 4 décembre 2003 représente le 10ème anniversaire de la disparition de Frank Zappa. L’album de l’Ensemble Modern, Greggery Peccary & Others Persuasions, présent dans les magasins de musique de la moitié de la planète, sonne comme un hommage. C’est une belle sélection de morceaux zappaïen ; précisément 10 pièces, de Moggio à l’historique Peaches in Regalia.

 Gail Zappa sourit et plaisante. Sa voix ne devient plus sèche qu’à une ou deux reprises, presque de manière imperceptible. Le reste ? des projets,  des souvenirs, des plaisanteries et des commentaires concernant l’art de son mari. L’interview débute par une question de sa part : « Pourrez-vous m’envoyer votre interview après sa parution ? Je compile tout ce qui concerne Zappa ».

 
Bien sûr. Vous avez l’intention d’écrire un livre avec tout ça ?

« Non, non. En fait, je suis déjà en train d’en écrire deux. Le premier est un recueil de ses écrits et d’interviews jamais publiés. Le deuxième est ma biographie, mon histoire avec et sans Frank Zappa ».

 

Quelle est votre opinion sur Greggery Peccary & Others Persuasions ?

« Je suis toujours très heureuse lorsque paraît la musique que Frank aimait. Je suis très reconnaissante à l’Ensemble Modern qui, après avoir travaillé sur The Yellow Shark, a cherché par tous les moyens à publier un deuxième chapitre de la collaboration entre eux et Frank. Ca a été un acte d’amour de la part du dernier « groupe » de Zappa.

 

Vous considérez l’Ensemble Modern un groupe comme le furent les Mothers ?

« Nous sommes face à deux expériences très différentes. L’Ensemble Modern est venu chercher Zappa ; c’est eux qui ont souhaité collaborer avec lui. Ils ont dépensé beaucoup d’argent et passé beaucoup de temps dans l’objectif de réaliser un rêve musical. Ce qu’ils ont fait pour la musique de mon mari n’a pas de prix. Les Mothers, c’était différent. C’est le groupe avec lequel Zappa a transformé le Rock, ils ont été le meilleur groupe au monde ».

 

Qu’a représenté l’Ensemble Modern pour Zappa ?

« Frank n’a jamais eu de rapports heureux avec les orchestres classiques. Avec l’Ensemble Modern, il a trouvé des musiciens capables d’improviser, de se libérer des carcans de la musique « sérieuse ». En tant que compositeur, il a apprécié cela. Entre eux, il existait un profond et réciproque respect. Ce fut la plus belle rencontre qu’il ait faite en dehors de l’univers du Rock. Mais, même la rencontre avec Pierre Boulez fut importante. Frank estimait que c’était un grand honneur que Boulez accepta une collaboration avec lui ».

 

Quel a été votre contribution au disque ?

« L’ensemble m’a fait parvenir des propositions en me demandant des suggestions sur les versions des morceaux. Moi, je me contentais de répondre oui ou non, voire pourquoi ? lorsque je ne comprenais pas quelque chose. Mais je leur suis redevable car Frank aurait beaucoup apprécié ce disque. En terme de qualité technique, il est parfait, même si bien sûr, en présence de Frank, il aurait été naturellement différent ».

 

Que reste t’il aujourd’hui dans le Rock des leçons de Zappa ?

« Je pense que deux de ses préoccupations demeurent très actuelles : « suis ta route coûte que coûte » et « garde ton esprit libre ».

 

Zappa a été un défenseur acharné de la liberté d’expression. Quel souvenir avez-vous de cet aspect du personnage ?

« Lorsqu’il n’était pas occupé à composer, il a investi toute son énergie à lutter contre la tentative de diabolisation de la musique et des idées gênantes. Il ne cessait de répéter que « sur la Terre, il y a plus de stupidité que d’hydrogène ». Finalement, aujourd’hui, il y a encore plus de stupidité que dix ans auparavant ».

 

Vous faites référence à la politique américaine ?

« J’ai une grande confiance, et Frank l’avait aussi, envers le peuple américain. Nous subissons un gouvernement qui ne nous représente pas. C’est une situation dramatique ».

 

Zappa, était-il un musicien de rock ou un compositeur moderne ?

« Lorsqu’il était jeune, il a été un pionner du Rock’n’Roll. Mais il se sentait un compositeur. Il avait plusieurs facettes, une personnalité polyédrique. Dans deux semaines, Baby Snakes sort en DVD ; c'est un fantastique contraste avec le disque de l’Ensemble Modern. Et pourtant, ces deux œuvres proviennent de la même personne ».

 

Voyez-vous un musicien en mesure d’assumer son héritage ?

« En plaisantant, je peux vous répondre que les héritiers existent déjà : ses enfants Dweezil et Moon.

Je ne sais pas qui sera le prochain à lui ressembler ; cela fait des années que j’entend cette question. C’est comme se demander qui sera le prochain John Fitzgerald Kennedy….

A mon avis, il n’y aura jamais un autre Frank Zappa ».

 

Quels sont vos projets pour le futur ?

« De continuer à publier d’autres œuvres en respectant la rigueur qu’il appliquait lui-même, respecter ses règles. C’est une tâche difficile et épuisante. Chaque semaine, je suis submergée de demandes de la part de musiciens et d’orchestres professionnels souhaitant jouer et enregistrer ses morceaux ».

 

Il y dix ans, vous affirmiez : « Si vous souhaitez respecter la mémoire de Frank Zappa, alors, jouez sa musique ». Ce souhait est-il encore d’actualité aujourd’hui ?

« Absolument ».

 

Le 4 décembre 2003 – www.kwmusica.kataweb.it -
Traduction  JL Portella